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Une bannière venue de Chine : mémoire brodée de Notre-Dame d’Espérance

Un Paroissien

27 mars 2025

Offerte en 1899 par une famille expatriée à Shanghai, une somptueuse bannière brodée à la main unit spiritualité, histoire coloniale et artisanat d’art. Autrefois sortie à chaque Pardon, elle demeure aujourd’hui encore un joyau du patrimoine de Notre-Dame d’Espérance.

Jusqu’à une époque récente, à la fin du mois de mai, les rues de Saint-Brieuc s’animaient au rythme du Pardon de Notre-Dame d’Espérance. Parmi les ornements processionnels figurait une pièce unique : une bannière venue de Shanghai, offerte en 1899 par la famille Kremer, expatriée en Chine. Témoignage autrefois vivant d’un lien spirituel fort entre la Bretagne et l’Extrême-Orient, elle est aujourd’hui conservée dans la basilique et constitue l’un des rares vestiges connus du travail artisanal des jeunes orphelines chrétiennes chinoises formées par les Religieuses Auxiliatrices du Purgatoire. Revenons sur l’histoire peu commune de ce chef-d’œuvre textile, grâce au travail de recherche de Marie-Ange Jourdan de Gueyer, téléchargeable en fin d’article.

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Une bannière venue de loin : l’offrande des Kremer

À la fin du XIXe siècle, Jean-Baptiste Kremer, chef de la garde municipale de la Concession française de Shanghai, et son épouse Paula, originaire de Saint-Brieuc, décident de faire réaliser une bannière de procession pour leur ancienne paroisse. Durant leur retour en métropole en 1898, ils rencontrent le chanoine Ludovic Guillo-Lohan, instigateur du nouveau Pardon marial du 31 mai. Touchée par l’élan spirituel qui anime encore sa ville d’enfance, Paula Kremer propose de faire confectionner une bannière d’apparat en Chine, afin de l’offrir à l’église de Notre-Dame d’Espérance.

De retour à Shanghai, elle entre en contact avec les religieuses françaises des Auxiliatrices des Âmes du Purgatoire, qu’elle connaît bien pour y avoir scolarisé sa fille Alice. Leur établissement, situé à Zi Ka Wei (Xu Jia Hui), non loin des missions jésuites, accueille des orphelines chinoises qu’il forme aux arts de l’aiguille. Ces jeunes filles, sous la direction des religieuses, réalisent alors intégralement la bannière selon un dessin préparé par une sœur artiste. C’est à leurs mains expertes que l’on doit l’exécution de cette œuvre exceptionnelle, qui parviendra à temps en France pour rejoindre la procession du mois de Marie.

Une œuvre d’art au cœur du sacré

Expédiée en grande hâte dans une caisse de zinc soudée, elle-même protégée par un coffrage en bois, la bannière fut acheminée par voie diplomatique jusqu’au Ministère des Affaires étrangères à Paris, où elle devait être réclamée en urgence par l’abbé Lohan ou un de ses correspondants. L’objectif était clair : qu’elle parvienne à Saint-Brieuc avant le 31 mai 1899, date de la procession. Ce délai serré fut tenu, grâce à une organisation méticuleuse et un dévouement sans faille. La bannière arriva juste à temps pour être montée et portée dans le cortège.

L’œuvre elle-même, confectionnée sur satin de soie, présente deux faces distinctes, richement brodées à la main. Le recto, à fond bleu pâle, représente Notre-Dame d’Espérance couronnée, tenant l’Enfant Jésus dans ses bras, debout sur un rocher écrasant le serpent du mal. Les plis du manteau bleu et de la robe blanche sont soulignés de broderies d’or, et des éléments en corail véritable ornent l’encadrement architectural, évoquant une pagode orientale. Autour de la Vierge, des inscriptions en caractères chinois, brodées avec délicatesse, proclament : « Marie, protégez-nous » et « Shanghai, 1899 ».

Le verso, à fond blanc, présente une composition florale toute en finesse : lys roses japonais et chrysanthèmes se déploient autour d’un médaillon de texte où l’on peut lire en lettres dorées : « Notre-Dame d’Espérance / Protégez-nous / Shanghai / Chine / 1899 ». Une étoile dorée vient coiffer le sommet de la guirlande. Les tons pastels, les dégradés subtils et la symétrie de l’ensemble témoignent d’une maîtrise exceptionnelle du point de Hongrie et des techniques locales.

Le dessin, attribué à Mère Saint Ignace (née de Forceville), mêle influences gothiques européennes et esthétique décorative orientale, créant un dialogue visuel rare entre deux cultures. Il en résulte une pièce d’orfèvrerie textile que l’on pourrait qualifier de « sino-gothique », où chaque détail est porteur de foi autant que de raffinement.

De Shanghai à Saint-Brieuc : une fidélité incarnée

Au-delà de sa beauté, cette bannière incarne un attachement profond à la Vierge Marie, traversant les mers et les cultures. Dans ses lettres au chanoine Lohan, J.-B. Kremer exprime une émotion sincère : celle d’un homme de foi désireux de perpétuer un lien spirituel avec sa terre d’origine, malgré la distance. À travers ce don, les Kremer affirmaient leur fidélité au sanctuaire de leur jeunesse tout en valorisant le travail des communautés chrétiennes de leur terre d’accueil.

Touché par cette offrande, le chanoine Lohan en fit l’éloge dans Le Messager de N.-D. d’Espérance, saluant tant la finesse de la réalisation que la ferveur qui l’anime. Depuis, la bannière ouvre fidèlement le cortège du Pardon, rappelant aux fidèles que la foi peut franchir les frontières les plus lointaines.

Conclusion

Témoignage rare d’un art religieux transculturel, la bannière de Chine de Notre-Dame d’Espérance est bien plus qu’un ornement liturgique. Par son histoire, elle incarne la dévotion, le souvenir et la transmission. Cependant, le temps a laissé son empreinte : le tissu, malgré tout le soin qui lui fut porté, révèle aujourd’hui les marques subtiles de son grand âge. Ses broderies, bien que toujours admirables, témoignent d’une fragilité que les siècles accentuent inexorablement.

Depuis peu, la basilique elle-même est fermée au public pour travaux, rendant temporairement inaccessibles cette pièce remarquable et les autres trésors qu’elle abrite. Mais loin de signifier un effacement, cette pause ouvre la voie à une nouvelle mise en valeur, à une redécouverte future.

Car l’histoire de la bannière continue, silencieuse mais vivante. Et lorsque les portes du sanctuaire s’ouvriront de nouveau, gageons que la lumière du mois de mai saura encore faire briller l’or discret des fils brodés, rappelant à tous que la foi, comme l’art, sait traverser le temps et les océans.

Sources